« À l’approche des JO, il est impératif que la France se tourne vers des pratiques de gestion des foules plus à jour »

« À l’approche des JO, il est impératif que la France se tourne vers des pratiques de gestion des foules plus à jour »

Les chercheurs Mehdi Moussaïd et Pascal Viot déplorent, dans une tribune au « Monde », le retard pris par le pays dans l’intégration des avancées scientifiques sur le comportement des foules et leurs incidences sur l’organisation des grands événements.

Le 9 septembre, l’organisation d’un grand événement sportif en France a été de nouveau montrée du doigt. Les congestions à l’entrée du stade de Marseille avant le match de rugby Angleterre-Argentine font écho à la soirée chaotique de la finale de la Ligue des champions Liverpool-Real Madrid de mai 2022 au Stade de France. Et, une fois encore, la presse internationale, en particulier la britannique, fustige la France pour son incapacité à assurer la sécurité lors de tels événements. Ces défaillances sont-elles de simples aléas inhérents à toute organisation d’un événement d’envergure, ou doit-on y voir un inquiétant déficit de compétence, à un an seulement des Jeux olympiques de Paris ?

Pour répondre à cette question, intéressons-nous aux avancées scientifiques des deux dernières décennies consacrées à l’étude du comportement des foules. Ces recherches pluridisciplinaires qui englobent psychologie, sciences cognitives et physique ont récemment connu des développements majeurs qui ont transformé les approches de la gestion des foules et conduit à des standards de bonnes pratiques internationalement reconnues. Or la France semble accuser un certain retard dans l’intégration de ces avancées.

Prenons par exemple les récentes avancées qui mettent en lumière le rôle central de l’« identité collective ». Ce sentiment d’appartenance à un groupe exerce une influence considérable sur les comportements de la foule, comme l’ont démontré les travaux des Britanniques John Drury, Clifford Stott et Stephen Reicher. Une identité collective forte peut en effet susciter des réflexes de solidarité et d’entraide au sein du groupe, mais aussi, à l’inverse, des conflits vis-à-vis des groupes opposés perçus comme hostiles.

Des agents d’accueil souriants

Ainsi, il est essentiel que les forces de l’ordre et le personnel de sécurité soient considérés par le public non pas comme des agents autoritaires, mais plutôt comme des facilitateurs. Dans de nombreux pays, la gestion des foules est ainsi orientée vers le dialogue et le service. Le concept de « good hosting », par exemple, qui remplace notamment les agents de sécurité en uniforme par des stewards lors des matchs de football internationaux, ou les équipes de « smilers », ces agents d’accueil souriants déployés sur certains festivals européens, vont dans ce sens : informer, accueillir et créer une proximité avec le public. En France, la sécurité des événements semble pensée, au contraire, sur le mode de la surveillance et du contrôle, générant une distance sociale dommageable avec la foule.

D’un point de vue cognitif, il est également établi que la communication est capitale pour assurer le bon déroulement des événements. Contrairement à une idée répandue dans le contexte français, les foules réagissent de manière rationnelle aux messages qui leur sont adressés. Une foule bien informée se sent considérée et sera davantage disposée à suivre les consignes et à respecter les règles de sécurité en connaissance de cause.

En Angleterre, la pratique du « crowd management » s’est construite sur des modèles de gestion des foules qui intègrent une variété de moyens de communication, comme de la signalétique, des écrans géants et des annonces au public. La rénovation du stade de Wembley achevée récemment constitue un cas très abouti de communication avec le public, grâce notamment à l’installation de feux de signalisation pour piétons et à la diffusion de messages clairs sur le parcours d’accès au stade.

La mécanique des fluides

Enfin, sur le plan des sciences physiques, les recherches récentes ont considérablement enrichi la compréhension de la dynamique des foules à forte densité. A l’aide d’outils issus de la mécanique des fluides ou de la physique newtonienne, les chercheurs sont en mesure d’anticiper des zones de congestion et le risque d’accident. Ces résultats soulignent, par exemple, la nécessité d’adapter les lieux et le niveau de service à la nature du public, en particulier lors de moments critiques comme l’entrée et la sortie des sites.

Certains fans de concerts, par exemple, ont tendance à arriver très en avance, tandis que des supporteurs dispersés en ville auront une arrivée plus tardive, ce qui implique des dispositifs de sécurité différents. Ainsi, le concert très attendu de Billie Eilish, en juin, à Amsterdam, a été loué par les fans : zones d’attente établies par heure d’arrivée et planification des flux sont la clé pour éviter bousculades et frustrations.

La sécurité des foules est une préoccupation majeure à l’échelle internationale, stimulant une recherche active et une évolution rapide des pratiques chez les organisateurs d’événements. Malheureusement, la France semble avoir pris du retard en raison d’un certain isolement culturel et d’une sous-estimation de l’importance d’adaptation des méthodes au regard des savoirs aujourd’hui disponibles. Il est impératif que les décideurs, les experts et les organisateurs se tournent sans tarder vers des approches plus à jour, centrées sur l’amélioration de l’expérience des visiteurs, tout en garantissant leur sécurité. Ainsi, la France pourra démontrer sa compétence dans le domaine lors de futurs événements d’envergure.

 
Mehdi Moussaïd (Chercheur, Institut Max Planck, Berlin) et Pascal Viot (Chercheur, Laboratoire de Sociologie Urbaine EPFL, coordinateur accueil et sécurité Paléo Festival Nyon)

Crédit photo : Adrien Max